18 januari 2008

La clairvoyance de François Périn

L'étonnante clairvoyance de François Perin

Par Jules Gheude, auteur de "L'incurable mal belge sous le scalpel de François Perin" (Editions Mols)
in La Libre Belgique - forum 17 jan 08

J'ai lu avec intérêt l'interview de Philippe Moureaux dans "Le Vif/L'Express" du 4 janvier. "Pouvions-nous imaginer qu'un jour il y aurait une telle poussée séparatiste au nord du pays?" Venant d'un homme qui suit la problématique communautaire depuis tant d'années, j'avoue que cette question me sidère, car elle reflète un manque total de clairvoyance politique. Je ne sais si M. Moureaux a lu l'ouvrage de Manu Ruys "Les Flamands", paru en 1973. Le sous-titre en est particulièrement éloquent : "Un peuple en mouvement, une nation en devenir". Toute l'explication de la crise actuelle est là: au fil des décennies, une Nation flamande - un peuple, un territoire, une langue - a fini par se constituer, rendant par le fait même impossible la survie du Royaume de Belgique. M. Moureaux se dit convaincu de la nécessité d'une nouvelle grande réforme de l'Etat, tout en refusant "la version du confédéralisme dans laquelle les Régions et les Communautés seraient quasiment des Etats indépendants, où la Belgique serait vidée de toute substance." Mais c'est précisément cette version-là qui intéresse la Flandre. Comme l'a expliqué le ministre-président flamand Kris Peeters au "Standaard" en septembre dernier : "Il nous restera encore en commun l'armée, la monnaie, une partie de la fiscalité et les lignes à haute tension." En fait, cela rejoint les cinq résolutions votées par le Parlement flamand en 1999. Les responsables francophones portent une lourde responsabilité en ne leur ayant pas accordé le crédit nécessaire. "On pensait que tout cela n'était que du folklore", a même délaré récemment le ministre Paul Magnette à "Vers l'Avenir"... N'en déplaise à M. Moureaux, certains francophones, tel François Perin, avaient vu clair très tôt. Le génial constitutionnaliste liégeois démissionna spectaculairement de la fonction sénatoriale le 26 mars... 1980, en déclarant : "(...) Je ne parviens plus, en conscience, à croire en l'avenir de notre Etat. Il est difficile de rester parlementaire d'un Etat auquel on ne croit plus et dont le système politique paraît absurde, et représentant d'une nation - selon les termes de la Constitution - qui n'existe plus. Je remets ce jour ma démission de sénateur au président de cette assemblée. Mon motif est simple et triple. La Belgique est malade de trois maux, incurables et irréversibles. Le premier mal (...) est le nationalisme flamand, qu'il s'avoue ouvertement ou non. Le second, c'est que la Belgique est livrée à une particratie bornée, souvent sectaire, partisane, partiale, parfois d'une loyauté douteuse au respect de la parole donnée et de la signature, mais très douée pour la boulimie, avec laquelle elle investit l'Etat en jouant des coudes, affaiblissant son autorité, provoquant parfois le mépris public. Le troisième mal (...), c'est que la Belgique est paralysée par des groupes syndicaux de toutes natures (...) intraitables et égoïstes, irresponsables, négativistes et destructeurs finalement de toute capacité de l'Etat de réformer quoi que ce soit en profondeur. (...) Voici , Monsieur le Président, ma démission de sénateur. Je reprendrai, en conséquence, en solitaire, le chemin difficile des vérités insupportables. Adieu." Dans les années qui suivront, François Perin n'aura de cesse de nous mettre en garde contre la montée de ce nationalisme flamand. Ainsi, le 28 avril 1981, il écrit dans "La Meuse" : "(...) Les Wallons ont beau prouver par les récents sondages du "Soir" jumelé au "Standaard" qu'ils sont avant tout belges et même en majorité "unitaires"; qu'importe puisque la majorité des Flamands n'ont aucune envie d'en être solidaires! Cela fait des années que je pressens ce qui va arriver : les Wallons et les Bruxellois vont se retrouver bêtement Belges tout seuls. Après d'éventuelles élections qui n'auront qu'exacerbé le malaise (...), le malheureux chef de l'Etat se mettra à courir après un gouvernement introubale : la Belgique peut disparaître par implosion." Et d'envisager, 25 ans avant le fameux documentaire-fiction de la RTBF, le scénario de la proclamation d'indépendance de la Flandre : "Qu'est-ce qui empêcherait les Flamands de proclamer unilatéralement leur indépendance et d'affirmer leur nation? Ils ont créé tous les instruments de leur future légitimité. (...) Les Wallons ont beau se proclamer belges. Quel est celui d'entre eux qui se battrait (au sens propre : en participant à une guerre civile) pour rétablir la Belgique contre la volonté des Flamands? Poser la question, c'est la résoudre. Les Wallons pourraient se retrouver indépendants à leur corps défendant, contraints à une discipline dont ils n'ont aucune idée, devenant eux-mêmes les débiteurs de leurs fameux "droits acquis". (...) La seule nationalité à laquelle les Wallons pourraient facilement s'assimiler après que la nationalité belge leur eût claqué dans la main, est la nationalité française (...). Encore faudrait-il nettoyer seuls nos écuries auparavant, car la France n'est pas demanderesse et n'a aucune envie de prendre des fous en charge. (...) Jamais l'Europe, ni l'Otan, dira-t-on, ne laisseront éclater la Belgique. Que pourraient-ils faire : débarquer les "Marines" pour nous apprendre par la force à vivre ensemble? Au contraire, la Belgique est un partenaire si peu fiable que nos alliés ne seraient peut-être pas fâchés de la voir disparaître. Les USA ne sont-ils pas plus satisfaits de la France qui est hors de l'Otan, mais qui a une politique sérieuse de défense, que de la Belgique qui risque de déclencher une belle débandade? (...)En 1830, le sort de la Belgique a été, après les journées révolutionnaires de septembre, joué sur le plan international. Il pourrait en être de même de sa probable implosion." Le 9 mars 1983, François Perin revient sur le sujet par le biais d'un article intiutlé "Et si les Flamands proclamaient leur indépendance?" et publié dans l'hebdomadaire "Pourquoi Pas?" : "(...) Les négociations classiques échouent. Les "informateurs", "négociateurs", "conciliateurs" et autre navetteurs politiques échouent aussi. Cela dure des semaines, peut-être des mois. (...) Les Flamands s'énervent. (...) La presse flamande hurle à la mort de l'Etat. La presse francophone se lamente ou verse dans l'imprécation anti-flamingante (...). Des nostalgiques adressent un appel au Roi. "La Libre Belgique" pleure de colère et d'indignation patriotique. (...) Pendant ce temps, les Flamands s'en moquent et songent sérieusement à convoquer le Vlaamse Raad pour que celui-ci, fort de sa légitimité basée sur le suffrage universel, se proclame "Congrès national flamand"; l'exécutif flamand démissionne pour faire place aussitôt à un gouvernement d'union nationale flamande (...). L'indépendance flamande est proclamée par décret spécial à Bruxelles. La Belgique a vécu. Le gouvernement flamand s'installe à Bruxelles, capitale de la Flandre, et offre... à l'exécutif wallon de négocier pacifiquement la liquidation de l'Etat. (...)" Alors vice-Premier ministre, feu Jean Gol avait tenu à adresser à François Perin le petit mot manuscrit suivant : "Je suis d'accord à 100% avec votre article du "Pourquoi Pas?". Mais le délai est sans doute un peu plus long; je ne suis pas fonctionnellement en position d'exprimer publiquement mon accord. J'agis cependant chaque jour pour préparer cette échéance et une réponse francophone de survie digne, raisonnable et dans l'ordre." Pour en avoir souvent discuté avec lui à l'époque, je peux certifier ici que la réponse de Jean Gol passait par l'Hexagone. François Perin dit aussi se souvenir de la "terrible colère" de Jean Gol au bureau du PRL "quand André Damseaux et Jacqueline Mayence ont basculé en faveur de l'implantation de la capitale wallone à Namur. "Il n'y a que deux capitales possibles, déclara-t-il. Si ce n'est pas Bruxelles, j'en connais une autre autrement prestigieuse." Il n'a pas prononcé le nom de Paris mais..." Lors des funérailles de Jean Gol en 1995, François sortit effondré du funérarium de Robermont. Et d'expliquer : "En fait, Jean Gol était, à mes yeux, le seul homme politique belge ayant l'envergure nécessaire pour avoir l'écoute de Paris en cas de dislocation de la Belgique. (...) Et voilà que cette carte majeure me claque dans la main!" Rien de grand ne peut être entrepris en politique sans la clairvoyance et la vision des choses à long terme. Les responsables francophones actuels feraient bien de méditer cette phrase...

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